Dans le milieux entrepreneuriaux, on confond souvent Tech et Medtech. Malgré la proximité de leurs noms, leurs organisation est fondamentalement différente.Là ou la tech se concentre sur les itérations très rapides du produit, le dispositif médical se concentre sur la confiance, la fiabilité et la maitrise du produit. Les implications en terme de vision, stratégie et opérations sont complètements différentes.
L’ambition d’améliorer significativement un geste médical, un parcours de soin ou un protocole de diagnostic est souvent la force motrice derrière un projet Medtech. Les obstacles rencontrés dans la mise à disposition de cette solution sur le terrain dépassent largement les enjeux techniques ou économiques.
Cette difficulté réside dans une méconnaissance fréquente des dynamiques propres au secteur de la santé. Ce secteur ne fonctionne ni sur les mêmes cycles, ni selon les mêmes logiques que ceux de la technologie ou du digital. Il repose sur des équilibres institutionnels, règlementaires et culturels qui imposent un rythme particulier, où l’innovation ne constitue jamais une justification en soi.
Ce décalage entre l’intention du fondateur et les conditions réelles d’entrée sur le marché explique une part importante des échecs ou retards prolongés rencontrés par les nouveaux acteurs du domaine.
L’inadéquation du modèle de la startup Tech en Medtech
Le produit Tech, dans son modèle classique, est pensé pour être mis entre les mains de son utilisateur dès les premières phases de commercialisation. Il peut évoluer rapidement, tirer parti des retours terrain pour ajuster son fonctionnement, et bénéficier d’une intégration fluide dans un environnement numérique standardisé. Cette approche repose sur une forte capacité d’itération, sur des cycles courts de développement, et sur une culture de la mise à jour continue.
Rien de tout cela ne peut être transposé tel quel dans un projet Medtech. Il existe bien des dispositifs destinés à un usage direct par des particuliers, et vendus comme tels, qu’il s’agisse de produits de pansement, d’autotests ou de dispositifs de suivi ambulatoire. Toutefois, la majorité des projets à haut potentiel de bénéfices cliniques ciblent des usages cliniques réservés à des professionnels de santé, dans des structures de soins, et présentent un risque également plus élevé.
Dans ces configurations, le produit n’est pas proposé à un individu en tant qu’utilisateur autonome. Il s’insère dans un environnement institutionnel, au sein duquel l’acte médical est encadré, ses responsabilités sont partagées, et les circuits d’adoption passent par plusieurs échelons décisionnels. L’objet de la vente ne se résume alors pas à une technologie ou un produit, mais à une modification permanente du fonctionnement d’un parcours de soin.
Ce changement d’échelle et de nature modifie en profondeur les conditions d’évaluation, d’acquisition, de déploiement et de suivi. Dans de nombreux systèmes de santé, l’acte d’achat ne dépend pas exclusivement de l’établissement. Il s’inscrit souvent dans des appels d’offres ou des accords-cadres négociés par des structures intermédiaires, comme les Group Purchasing Organizations aux États-Unis. Ces entités sélectionnent les produits sur des critères qui ne relèvent ni du médecin utilisateur ni du service concerné, mais d’un processus contractuel en amont, où la compétitivité logistique et financière prime sur l’innovation.
Lorsque le produit prétend intervenir sur une action diagnostique ou thérapeutique, il doit d’abord franchir une étape préalable qui n’a pas d’équivalent dans les industries non réglementées. Ce n’est ni l’établissement de santé, ni l’utilisateur, ni même le marché qui en autorisent l’existence, mais une autorité publique ou accrédité, investie de la responsabilité de garantir la sécurité sanitaire.
Cette autorité statue à partir d’un ensemble de critères documentés, dont le socle repose sur l’analyse de la balance entre les bénéfices cliniques démontrés et les risques identifiés, que ce soit dans des conditions normales ou dégradées d’utilisation. Toutefois, cette évaluation ne s’arrête pas à l’examen du produit fini. Elle prend en compte l’ensemble des garanties mises en place pour en assurer la conception, la fabrication, la surveillance et la traçabilité tout au long du cycle de vie. Le niveau de confiance accordé dépend de la robustesse du dispositif et de la capacité du fabricant à maintenir cette robustesse dans la durée.
Dans certains cas, les autorités peuvent également intégrer des considérations systémiques, notamment lorsqu’une technologie existante présente des limites de sécurité désormais bien caractérisées, et que des alternatives plus performantes sont disponibles. Il ne s’agit alors pas d’arbitrer entre deux acteurs en concurrence, mais de repositionner le niveau d’exigence sectorielle au regard de l’état de l’art.
C’est dans cette logique que certaines agences révisent leurs recommandations ou adaptent les référentiels techniques, en fonction de données consolidées sur l’efficacité comparative des solutions. Les décisions d’autorisation, de suspension ou de retrait sont toujours motivées par la préservation ou l’amélioration de la santé publique, mais elles peuvent aussi jouer un rôle dans l’évolution des pratiques industrielles.
Au-delà de cette autorisation initiale, la vie du produit ne peut pas être envisagée comme une suite d’itérations fonctionnelles ou de mises à jour réactives. Chaque changement implique une responsabilité. L’ensemble du cycle de vie est placé sous contrôle permanent, du fait des risques potentiels induits pour les patients comme pour les professionnels.
Ce niveau d’exigence repose sur une réalité simple : toute défaillance peut produire un effet adverse, potentiellement grave. Les autorités de santé, les établissements de soins et les professionnels ne l’ignorent pas. Lorsqu’un incident survient, ou qu’un écart remet en cause la confiance dans un fabricant, les conséquences ne se limitent pas à une perte de part de marché. Elles provoquent un effondrement durable de la crédibilité du projet, voire de l’entreprise, dans un écosystème extrêmement conservateur.
Dans de nombreux projets Medtech, la robustesse attendue est abordée comme un impératif de conformité externe, alors qu’elle devrait constituer un bloc fondamental de l’organisation. Le produit doit être réellement maîtrisé à chaque instant, documenté dans ses évolutions, et soutenu par une organisation et un leadership capable de garantir sa conformité et sa stabilité dans le temps.
| Critère | Projet Tech | Projet MedTech |
|---|
| Utilisateur final | Acheteur et utilisateur souvent confondus | Acheteur institutionnel distinct de l’utilisateur clinique |
| Objet vendu | Produit ou fonctionnalité | Transformation d’un workflow clinique |
| Intégration | Environnement généralement ouvert, interopérabilité native fréquentes | Contraintes d’intégration fortes, hétérogénéité des SI et des processus |
| Itération produit | Possibilité d’itérer rapidement selon les retours | Évolution sous contrôle strict, documentation obligatoire, modification limitée |
| Stratégie commerciale | Décision rapide, cycle de vente court | Cycle de vente long, validation multi-acteurs, appels d’offres ou référencement obligatoires |
| Décideurs d’achat | Clients individuels, entreprises, directions métiers | Directions d’hôpitaux, comités techniques, centrales d’achat, GPO |
| Autorisation de mise sur le marché | Aucune, sauf normes industrielles volontaires | Autorité réglementaire (CE, FDA…), évaluation préalable, droit de refus ou de retrait |
| Critères de jugement | UX, performance perçue, rapidité de déploiement | Sécurité, performance clinique, stabilité sur le cycle de vie |
| Conséquences d’une défaillance | Baisse d’usage, perte de réputation, correctif logiciel | Risque patient, retrait produit, perte de confiance des autorités et institutions |
| Risque de rejet institutionnel | Limité à la valeur perçue | Élevé en cas de non-conformité, ou d’incapacité à démontrer le bénéfice clinique et la maîtrise produit |
Assumer la posture de fabricant de dispositifs médicaux
Prospérer sur le marché Medtech, et plus généralement des produits de santé, implique d’embrasser pleinement la position de fabricant de produits de santé. Cela suppose une capacité à concevoir, produire, installer, maintenir et surveiller un produit dont l’usage clinique engage la responsabilité de celui qui l’a mis à disposition. Il s’agit de mettre en place une organisation capable de garantir la performance et la sécurité sur la durée, en intégrant l’ensemble des contraintes associées à l’usage réel du dispositif dans un environnement médical opérationnel.
Cette responsabilité commence par la façon dont le produit est défini, fabriqué et livré. L’entreprise doit disposer d’une architecture interne qui encadre la conception initiale, mais aussi la production en série, l’installation sur site, la mise en service, la maintenance et le retraitement le cas échéant. En Medtech, La première base de crédibilité est la maitrise de chaque étape du ce cycle de vie du produit.
En adoptant une posture de fabriquant de produit de santé, le positionnement commercial évolue. Un dispositif médical n’est plus un objet que l’on vend pour ses fonctionnalités et son ergonomie, mais une transformation mesurable d’un processus de soin. La proposition de valeur repose sur une amélioration démontrable d’un parcours clinique existant.
Pour être entendue, cette proposition de valeur doit être étayée par des preuves objectives, issues d’une évaluation menée dans des conditions suffisamment proches de l’usage visé. Il ne s’agit pas nécessairement de conduire un essai clinique à grande échelle, mais de mettre en place une stratégie progressive de validation, centrée sur des résultats pertinents, interprétables et exploitables par les instances qui en recevront les conclusions avant, et après la mise sur le marché.
D’un point de vue réglementaire, les supports promotionnels peuvent faire l’objet d’un refus si les allégations mises en avant ne sont pas étayées par des données robustes. En France, l’ANSM rappelle que toute revendication doit s’appuyer sur des études sans biais méthodologique manifeste, et publiées ou accessibles. Elle a publié des recommandations spécifiques sur la justification des allégations des dispositifs médicaux
La trajectoire de conquête rapide qui prévaut dans les startups tech laisse place à une stratégie d’endurance en Medtech. Construire une base technique, clinique et réglementaire suffisamment robuste pour soutenir le déploiement dans la durée prends les devant sur l’accélération à tout prix. Cette dynamique, plus proche d’un effort long et maîtrisé que d’une accélération instantanée, exige un engagement constant et méthodique. Les fabricants qui réussissent sont ceux qui maintiennent un rapport bénéfice-risque favorable, en ajustant leur produit et leurs pratiques de manière continue, sans attendre d’y être contraints.
Ce rythme ne s’adapte pas aux logiques concurrentielles classiques et est imposé par des exigences règlementaires permanentes, qui structurent le marché sur le temps long.
Enfin, la relation post-commercialisation devient un pilier critique en Medtech. Un service après-vente structuré, réactif, capable d’investiguer chaque défaillance, de documenter chaque anomalie, et de traiter les événements indésirables avec sérieux constitue une condition nécessaire à la pérennité.
Cette vigilance continue est attendue par les autorités de santé autant que par les établissements utilisateurs. Lorsqu’elle est perçue comme sincère, elle favorise une relation de long terme, fondée sur la coopération et la confiance. Elle permet également de faire évoluer le produit de manière intelligente, dans un cadre maîtrisé, en phase avec les attentes du système de santé. À l’inverse, une gestion approximative ou réactive du post-market conduit rapidement à des inspections ciblées, à une perte de confiance institutionnelle, et à un retrait progressif ou total du marché.
Conclusion
Entrer sur le marché des dispositifs médicaux ne relève pas d’un changement de produit, mais d’un changement de cadre. L’environnement de santé impose ses propres règles, ses propres rythmes et ses propres exigences. Tenter d’y adapter des modèles issus d’autres secteurs, sans transformation structurelle de l’organisation et de la posture de fabricant, expose le projet à des blocages prévisibles. Ce qui distingue les acteurs qui prospèrent est la capacité à répondre, sur le long terme, aux attentes d’un système où la rigueur précède la reconnaissance.
